Saveurs de municipales dans un petit village

On a tous plusieurs madeleines de Proust. L’une des miennes, c’est la vie dans un tout petit village, où tout le monde se connaît, et les conséquence (pas toujours heureuses) que cela implique. L’une d’elles, c’est l’ambiance toute particulière des élections municipales. Aussi, c’est avec délectation que je me suis rendue aux urnes aujourd’hui, et que j’ai assisté à une partie du dépouillement.

Ces élections planent dans l’air depuis plusieurs mois déjà, sur fond de rumeurs et de comportements plus ou moins discutables. C’est qu’il faut savoir que les habitants d’une petite commune dans le style de la nôtre ont beau se connaître depuis des temps immémoriaux et boire l’apéro ensemble depuis trois générations, ils ne s’en tapent pas moins sur la gueule avec enthousiasme, peut-être même avec tendresse, mais ils y vont gaiement. Forcément, le taux de participation est record (plus de 90%), car, lorsqu’on est moins de 250 pébrons à vivre sur une commune, le choix du maire nous impacte assez directement. On est loin de ce qu’on voit aux infos : pas d’étiquette, pas de politique, nos candidats n’ont pas de parti, on élit des hommes, simplement. Au fond, c’est déjà bien, non?

Nous nous sommes installés ici il y a un peu plus de deux ans maintenant, et pour nous ces élections avaient déjà un goût de bataille, preuve sans doute de notre indiscutable intégration dans la vie du village. Car mon homme, artisan de son état, a dû quitter l’atelier loué par la mairie pour cause de divergences majeures avec l’un des élus locaux. Comprenez : un vieux con, qui ne tolère pas qu’un étranger s’installe au village avec autant d’ostentation (atelier, mariage et bébé, tout de même)(ici ça n’arrive pas tous les jours, autant vous le dire, d’ailleurs à partir de 3 gosses on donne ton nom à une rue, t’as qu’à voir). Je dois faire une parenthèse pour les néophytes (les citadins) : un étranger, c’est quelqu’un qui n’est pas né au village, point barre. Un mec né ici, qui se barre toute sa vie et revient pour la retraite, il est du coin. Un mec qui est né dans un bled à 10km, il n’est pas de chez nous. Cherchez pas. Bref, tout ça pour dire que ledit vieux con, qui aimerait sans doute finir sa fini séché, tout seul, au milieu des vieilles pierres du village en ruine, voulait la mairie. Ben voyons. Face à lui, un trentenaire qui a grandi sur la commune, et qui s’y est installé avec sa famille, des gens qu’on apprécie beaucoup. Le choix était vite fait.

Bon, je vous passe les détails des listes à proprement parler, vous imaginez à quel point c’est difficile de monter deux listes complètes avec si peu d’habitants, et à quel point il est compliqué de voter lorsqu’on peut panacher à volonté. L’avantage d’être dans une commune de moins de mille habitants, c’est qu’on peut rayer, barrer, mélanger, faire n’importe quoi en fait. (Sauf faire caca dans l’enveloppe, ce qui est un pas en arrière selon moi, c’était tellement plus fun dans mes souvenirs de se demander qui avait fait ça). Et, s’il n’avait pas été un con fini, j’aurais fait un clin d’œil à mon père en arrivant au bureau de vote avec un stylo autour du cou. Pas besoin de s’en servir, le seul fait de l’arborer peut provoquer un séisme chez les (nombreux) observateurs.

Aujourd’hui donc a pris fin des semaines de fausses informations, de réunions au sommet et de commentaires sans fin sur les programmes trouvés dans la boîte aux lettres (« Non mais quand même, il a pas honte de dire qu’il veut favoriser l’installation des artisans?? »)(véridique). Connaissant très bien la façon dont les choses se passent dans leurs caboches dures comme du bois, j’avais conseillé à l’homme de surtout bien la fermer. Parce que dire du mal de l’un d’entre eux, c’est les insulter tous. Ils ont beau s’abreuver d’insultes, ils restent unis par les liens de la consanguinité. Non, je suis mauvaise, mais j’aurais bien du mal à vous l’expliquer, c’est une mentalité qu’on reçoit dans le biberon. En plus, j’ai l’air de me moquer d’eux, mais la vérité c’est que je me sens comme à la maison quand je les vois se taper dessus, c’est limite rassurant pour moi. Une couverture douillette qui sent bon la maison de famille.

Visiblement nous ne sommes pas les seuls que vieux con a embêté récemment, car je sors à l’instant de chez notre nouveau jeune maire, élu à la majorité absolue, avec 9 membres de son équipe, dès le premier tour. Je pourrais dire que je jubile, mais c’est faux, car la vérité c’est que vieux con me fait de la peine, sa vie est totalement vide, et il n’a même plus de quoi s’occuper, c’est d’une tristesse absolue. Mais passons. On récolte ce que l’on sème, bien souvent.

Ces élections municipales sont pour moi un petit retour en enfance, dans ce village qui m’a vue grandir, avec ce maire dans les bras duquel je sautais dès que je le voyais, avec ces vieux qui restaient assis toute la soirée, pendant la fête votive, mais qui ne rataient rien du spectacle. Ceux-là même qui me faisaient rire en promettant de plastiquer la maison du parisien qui avait eu l’impudence de s’installer chez eux. C’est tout un village qui élevait ses gosses, c’est tout un village que je voyais comme famille. Alors aujourd’hui, quand je suis entrée dans le bureau de vote, ma fille dans les bras, et que nous avons discuté avec tout le monde, toutes listes confondues, j’ai retrouvé cette ambiance qui m’est chère. Et, quand je suis sortie de l’isoloir, et que j’ai vu l’attroupement autour de ma fille, la fière petite habitante du village, la dernière arrivée, qui a même fait sourire vieux con, j’ai senti que la boucle était bouclée. La petite fille fascinée par ce qui se jouait sans qu’elle puisse y prendre part autrement qu’en ouvrant grand les yeux et les oreilles est devenue la femme qui emmène sa fille voter pour élire le maire. Et qui va fêter les résultats avec ceux qui vont forcément marquer les esprits, parce que les maires se succèdent mais ne se ressemblent jamais dans un village. J’ai savouré l’instant, même si la petite fille en moi sait bien qu’au fond, je ne serai jamais vraiment d’ici.

arche

6 réflexions sur “Saveurs de municipales dans un petit village

  1. Allegories dit :

    Ah cette ambiance de village me manque. Chez moi on était 150 habitants. Lors des dernière municipale, le maire sortant ne voulait pas se représenter mais le seul qui voulait bien du job n’était pas tellement aimé. Bref, le village était coupé en 2, entre ceux fidèles à l’ancien maire et les partisans du nouveau. Les premiers, pour faire chier ( il n’y a pas d’autre mot) les second lors du dépouillement, s’était mis d’accord: chaque habitant du village a reçu une voie! Le dépouillement a duré des heures! On s’est bien marré!

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    • Laurie dit :

      Ah, pas mal!! C’est génial ces petites luttes de village! Dans un village pas loin du nôtre, un gars s’est fait éjecté de la seule liste par ses colistiers, résultat : il s’est présenté tout seul… j’imagine bien les commentaires au dépouillement! Pas de petits mots rigolos cette année, mais j’aime particulièrement les petits graffitis du genre « tu ferais mieux de te taper la secrétaire plutôt que de nous emmerder »… Ah, c’est tellement plus convivial… 😉

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  2. Laurie dit :

    Très joli texte, comme d’hab !
    Mais surtout super nouvelle pour vous et votre village d’adoption !
    Chez nous, l’ambiance est moins à la fête vu le résultat… gloups !

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    • Laurie dit :

      J’ai vu ça… C’est partout dans le sud on dirait, Perpignan, Avignon… Ils parlent d’arrêter le festival d’Avignon, t’imagines un peu!
      Bisous ma caille 😉

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  3. Marie-Aimée Kléber dit :

    Merci pour le partage de cette belle tranche de vie. On dit qu’il faut un village pour éduquer un enfant, c’est très vrai. Il y a une ambiance bien particulière dans les petits villages. Je suis heureuse que vous ayez passé un aussi bon moment.
    Grosses bises à vous trois.

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    • Laurie dit :

      C’est dans ces moments-là que « mon » village me manque le plus, moi qui n’arrête pas de dire que je veux que mes enfants découvrent le monde plus tard… Bises ma belle 😉

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